Transmutation. Épisode 1 : Traverser la vague.
J’ai décidé de laisser de côté les Yoga-sutras de Patanjali, suite à une mutation que je constate depuis quelques temps.
L’histoire que je raconte a débuté le 30 septembre 2022 et se poursuit tranquillement…
J’ai choisi d’écrire les lignes qui suivent en laissant libre cours à mes idées, liant réalité et imaginaire.
– « Quel âge as-tu ?
– 58 ans
– Comment envisages-tu le passage des 60 ans ?
– ! … ?…
– … A vrai dire, je ne me suis jamais posé la question.
– Je t’invite à y réfléchir… »
J’aime ces rendez-vous bimestriels où je me retrouve face à moi-même, à mes questionnements, voire mes contradictions, mais surtout face à mes peurs…
– « Merci à toi, J…, merci à tous et toutes pour cette session. Je suis fatiguée, mais sereine. Je crois que je vais bien dormir ce week-end. »
De celle-ci, je sors éreintée. Essorée même.
Nous sommes vendredi soir, il doit être 17h00 quand je quitte le groupe de coaching.
Comme à chaque fois que j’ai ressenti de la tristesse dans ma vie, je me précipite me consoler : Paul Marius fera bien l’affaire cette fois-ci. Le petit sac que j’avais repéré voici plusieurs mois me servira de pansement.
Jaune safran, c’est bien !
«Confortare crocus dicatur laetificando et partes lascas firmare, hepare reparando »
« le safran réconforte, il excite la joie, raffermit tout viscère, et répare le foie.»*
Eh bien ! oui ! du réconfort,… c’est vrai que cette couleur chaleureuse me remplit de joie.
Je fais la queue pour régler, heureuse de ma journée, contente de ma trouvaille.
Devant moi, un beau jeune homme à la peau d’ébène règle son achat de la journée. Son enfant métis dort paisiblement dans la poussette, doux mélange de gènes blancs et noirs qui me rappelle cette chanson des années 80 de Paul Mac Carney et Stevie Wonder « Ebony and Ivory ».
Le vendeur lui demande quel prénom graver sur l’étiquette en cuir, en forme de carte de France.
« Kevin » !
« Chouette alors ! ». J’imaginais déjà qu’il destinait son achat à sa dulcinée. Il s’est offert un beau cartable marron, pour lui. Je ne suis pas la seule à me faire plaisir en cette fin de journée. Aurait-il, lui aussi, quelque chose de personnel à fêter ?
C’est incroyable, comment mon esprit ne peut s’empêcher de juger chaque fois que je rencontre quelqu’un ou regarde quelque chose. Mon esprit ne peut s’empêcher de s’emparer de ce que je vois ou entends pour peser, jauger, comparer, comme si mon cerveau reptilien ne cessait d’évaluer le danger imminent !
« Pour l’instant, en danger, je ne vois que ta carte bleue ! Allez il est temps de rentrer à la maison. D’ailleurs ton crâne fait boum boum et le mal de tête pointe son nez »…
Je monte dans le L1. Ma tête cogne, comme si mon cerveau cherchais à casser la coque dure de mon crâne pour s’oxygéner, respirer. J’ai chaud, le plexus se contracte. La migraine s’est invitée.
Aubisque, l’arrêt. La montée me semblé être une véritable ascension de col pyrénéen. Je parviens devant la porte, glisse la clé dans la serrure, et là, ouf ! Soulagement, je suis à la maison. Dans ma tanière…
Je m’écroule dans mon canapé et demande à mon chéri de me réveiller à 20h, quand nous devrons manger. Définitivement, la journée m’a secouée et j’ai besoin de me reposer.
La vague, la VAGUE, IMMENSE, GIGANTESQUE !
Elle est là, devant moi.
Elle est revenue.
Elle est comme un mur que je ne pourrai pas franchir…
Mais pourquoi cette vague est-elle près de moi, si près. Comme si elle allait m’engloutir ?
???
Elle mesure au moins dix mètre de haut, si ce n’est vingt.
???
J’ai déjà vu cette vague, oui dans un estampe Japonaise.**
Mais là elle est sombre, noire. Un mur liquide et noir qui me fait front…
Mais non, elle n’est pas face à moi, elle est à côté de moi. Elle est présente et oppressante, mais elle ne s’abat pas. Jamais…
Elle est là et je marche à côté. Elle me fait horriblement peur. Comme si ses lames d’écume allaient me submerger. Oui, c’est ça me submerger.
Pourtant j’ai comme l’impression que je dois la traverser, passer de l’autre côté. Traverser cette masse d’eau de mer, comme pour traverser cette douleur qui m’habite depuis longtemps.
Depuis combien de temps ?
Depuis trop de temps…
Je me réveille, en nage,…
– « Coucou, il est 20h30. Tu as faim ? » me glisse mon amour.
– Non, je crois que je vais me coucher, j’ai une migraine atroce, et en plus je viens de faire un cauchemar que je n’avais pas fait depuis longtemps ».
La mer, la Mère ?
« La vague symbolise une montée émotionnelle inconsciente générant un clash qui se produit pour résoudre une situation de crise. Face à l’adversité ou l’inertie de notre entourage, notre cerveau n’a trouvé que la solution de l’explosion émotionnelle pour éprouver la solidité des liens qui nous relient aux autres…Ainsi, nous pouvons constater, après le passage de la vague, qu’il ne reste plus que notre enfant qui nage auprès de nous, ou bien nous l’avons ramené sur le rivage. »***
Cette explication des rêves en vaut certainement d’autres. Il est clair que les émotions sont bien présentes, autour et en moi, en ce moment, que ce soit au niveau amical, familial ou professionnel.
En tant que mère, je vois mes filles devenues femmes et naturellement, une page du livre de ma vie se tourne,… pour en écrire une nouvelle.
Je ne m’étais jamais posé la question de la soixantaine, ni d’aucune dizaine d’ailleurs. Pourtant soixante ans, c’est quelque chose ! C’est l’âge qui mène sur le chemin du nouvel âge, celui de la sagesse. Mais aussi, celui qui dirige vers les vacances éternelles…
Je m’imagine alors, les cheveux argentés, une cape dorée vissée sur mes épaules, en tenue blanche, marchant à la rencontre de ceux qui ont besoin qu’on prenne soin d’eux. Je viens croiser le chemin de ceux qui ont besoin d’être entendus, à défaut d’être écoutés. Je marche et j’écoute les maux à travers la voix, le yoga, les rires, les danses et pourquoi pas les chants.
Et là, je revois la fête d’anniversaire de mon père. C’était le 24 septembre dernier. Les vingt personnes présentes, heureuses de partager ces chants et ces moments de joie et d’excès. Tant de bouteilles bues ! Mais alors, à quatre-vingt huit ans, que risque-t-on à vivre et à rire et à faire bonne chère ?
Haro aux préjugés, haro aux conditionnements. Finissons-en donc ! Vivons !
Si nous apprenions simplement à écouter notre corps,
comme nous l’enseigne le yoga ?
Pourquoi faire trois repas par jours, si je n’ai pas faim ? Pourquoi ne pas apprendre à écouter les signaux que m’envoient mon corps ?
La bouche légèrement sèche, « ah, il est temps de te lever prendre un verre d’eau… », le ventre tiraillant, « ah, je mangerai bien un beau poulet fermier ! »
Ces règles imposées par la norme, les process, les codes… Et si je sortais du dogme des croyances imposées par notre société et… par nos mères ?
Ça y est, j’ai lâché le gros mot : Mères.
Les mères, si tendres, si douces et en même temps si encombrantes, si intrusives, si dictantes pour ne pas dire dictatrices à travers leur amour débordant, à travers aussi, la rudesse de leurs mots et de leurs gestes.
Je suis aujourd’hui l’une d’elles : une mère.
Plutôt déterminée et certainement « cadrante », prise dans les conditionnements de mon éducation, j’ai reproduit des comportements en voulant les éviter. Une de mes filles un jour m’a posé la question : « mais maman, pourquoi tu es en compétition avec ta mère ? Parce que j’ai l’impression que tu es en compétition avec moi, aussi ! ».
Je ne m’étais jamais rendue compte que mon comportement de rejet vis-à-vis de ma mère, où j’essayais de m’extraire de son amour envahissant, avait été traduit par mes enfants comme une sorte de compétition entre nous. En refoulant une mère intrusive, ma dureté envers elle a été interprétée comme de la compétition. Donc le message n’était pas clair. Non, il n’y a pas de compétitions entre ma mère et moi, et pourtant…
Aujourd’hui, j’ai 58 ans. Dans moins de deux ans, j’aurais 60 ans.
Je réalise aujourd’hui : oui, il y a eu une bagarre, entre elle et moi. Parce que, comme nombre de femmes de sa génération, n’ayant pas existé pour elles-mêmes elles se réalisent à travers l’histoire de leur homme, de leurs « bébés ». Ce que font leurs enfants, ce sont un peu elles qui le font…
J’ai lutté pour qu’elle me laisse tranquille et qu’elle ne s’approprie pas mes gestes et mes actes. Qu’elle ne me rackette pas ! Qu’elle ne me dicte pas comment je devais éduquer mes enfants, faire le repas, être une femme parfaite, au service des autres… et m’oublier moi-même, jusqu’à la frustration.
Il y a bien d’autres moyens de servir les autres…
Entre mes filles et moi, inconsciente, certes, la compétition a existé.
Par exemple, quand j’ai essayé de leur montrer comment faire certaines choses dans un domaine où j’avais fait mes preuves, au lieu de leur laisser expérimenter par elles-mêmes ou d’attendre qu’elles me le demandent. En fait, il s’agissait plus d’une intrusion de ma part. Elles ont certainement pu ressentir cela comme « regarde je sais encore faire autant que toi ». Donc : compétition !
Cette remarque me viens : « si je suis intrusive, je m’introduis dans la vie d’autrui, comme l’eau, cet élément qui pénètre partout. A trop s’installer dans les coins, l’eau devient stagnante et saumâtre, elle agit en profondeur et pourri la structure ». J’observe la violence de l’acte d’intrusion : rentrer sans y avoir été invitée.
Il est temps de me retirer…
Accepter qu’une fille devienne femme, pour une mère, c’est apprendre à tirer sa révérence, comme la mer se retire, à marée basse.
Une maman mature…
C’est une maman pleine de douceur, qui n’a plus rien à prouver. Elle passe son chemin et va découvrir d’autres voies.
Une maman mature peut alors donner encore plus de tendresse à ses filles qui, en toutes circonstances, peuvent lui demander de l’aide et conseil. Et elles le savent.
Une maman mature ne se projette pas dans ses filles, ne rackette pas leur vie en s’appropriant leur histoire, comme s’il s’agissait de la sienne.
Une maman mature vit simplement sa vie de femme, de son côté.
Elle peut remonter à marée haute, mais calmement et surtout pas en Tsunami qui dérègle tout. Elle n’agit pas comme un raz-de-marée qui emporte tout pour panser ses propres souffrances.
Pour ça, il y a des spécialistes !
Ce n’est pas le rôle des enfants que de soigner les névroses des parents.
Nos enfants adultes ont besoin de joie et de sérénité, de la présence de leurs parents, ou de leur référent parental, pour traverser les guets à marée basse et aussi pour apprendre à retourner le bateau quand il a dessalé.
Une maman mature est présente, ne serait-ce que par la pensée, dans ces moments-là ; Elle n’est jamais intrusive, ni n’assène ses vérités.
Une maman mature apprend à se taire et à écouter…
La prochaine fois que je rêverai de LA VAGUE, je plongerai sous elle pour passer la barre et rejoindre le large où la mer est calme.
Bonne semaine à toutes et tous…
Isabelle ABBADIE-BAOUSSON
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Image Canva : La grande vague de Kanagawa
*Source Saveurs du Safran – Clotilde Boisvert et Pierre Aucante – Albin Michel 1993.
** « La grande vague de Kanagawa. » Estampe du peintre Katsushika Hokusai.
*** Source https://www.psychologies.com/Therapies/Psychanalyse/Dictionnaire-des-reves/Vague