En apnée : une plongée à l’intérieur de soi
Immobile, le regard tourné vers les profondeurs, le bleu de la mer m’enveloppe, tel un immense coussin dans lequel je me loverais. Quelques 60 mètres au-dessous repose l’épave du Roraïma, une des épaves de Saint-Pierre.
La main posée sur l’échelle, j’encercle délicatement un barreau de mes doigts. Je flotte. L’eau est claire, une visibilité qui m’offre la totalité du câble descendu à 25 mètres.
J’aime la couleur bleu, elle me repose et calme mon anxiété.
Le clapotis contre la coque, les voix des plongeurs qui me précèdent, tout est là et pourtant si loin… Notre instructeur alterne anglais, français, exprimant ses recommandations ajustées à chacun. Ses mots, comme suspendus dans l’immensité de la mer Caraïbe, me permettent de reconnaître quand mon tour viendra. Tom, Jérôme, moi…
« Isabelle ? »…
Je m’approche lentement du câble, dans le calme.
Je prends place. Les pieds vers le bas, le long de la corde… La tête en arrière, je m’étends sur le dos et me détends. Je relâche les tensions, au rythme de ma respiration.
« Isabelle, tu continues tranquillement, comme tout à l’heure,… tu prends le temps de compenser… Des petits mouvements, compense bien à chaque fois…. la mâchoire desserrée, tes lèvres pincées,… tu restes dans la détente, le ressenti, le plaisir…et tu peux rester un moment immobile, si tu es bien…»
Dans ma bulle, je fais « ok » du bout des doigts.
J’explore chaque partie de mon corps, de la nuque aux orteils. J’apprécie de mon œil intérieur les contractions présentes : nuque, épaules, doigts, mollets, pied gauche, orteils. Les oreilles immergées, les voix se font lointaines. Ma respiration se présente. Je m’entends respirer calmement. Le soleil sur mon masque jette ses rayons ardents. Il pénètre ma peau, s’enfonce jusque dans mon cœur.
Immobile, je suis vivante, libre, unique dans cette immensité et pourtant si reliée à elle.
Mes pensées s’effacent.
Je reste suspendue dans l’infinité de l’espace marin. Si petite et pourtant si unie à cette infinitude.
Je respire. L’inspiration gonfle doucement mon ventre sous le néoprène. L’expiration me libère des dernières résistances. Le diaphragme reprend sa place naturelle, avec souplesse.
J’habite mon corps. Seul mon souffle me guide. Je suis là, j’écoute et j’attends.
Présente à ce qui est, je sens que le moment approche, bientôt, très bientôt… Encore une respiration, la détente est profonde. Encore une,…
… c’est maintenant…
Une grande inspiration, je me redresse le long du câble…
Mon index et mon pouce attrapent mon nez et l’enserrent. Je compense. « Plop » dans mes oreilles, c’est ok. Je me tracte le long du câble.
« Plop », nouvelle compensation, nouveau mouvement vers le bas…
« Plop », une fois encore mes oreilles passent le poids de la masse d’eau progressivement.
« Plop »,…
« Plop », l’oreille droite passe,… la gauche résiste. Je relâche le visage, bouge la maxillaire,… « Plop », ça passe… Je continue de descendre…
…
J’ouvre les yeux, des poissons face à moi viennent voir cette intruse curieuse.
…
« Plop », je descends. Je suis détendue. Je reste immobile dans ce voyage vers les profondeurs. Je stoppe là… Liée à ce fil par mes pieds qui l’entourent, les bras tournés vers le large, je suis en équilibre. Je vis,… en suspension…
…
J’ai plongé à l’intérieur de moi. Je suis en harmonie. Ananda, la joie sans objet, l’état de pur bonheur…
…
Olivier arrive près de moi, me regarde, le geste « tout va bien ? ». « Tout est bien »…
Puis, une légère contraction vers mon plexus , Manipura Chakra, ou centre Solaire, symbole de la confiance en soi et de la ténacité.
C’est mon diaphragme qui m’informe. Mon corps envoie le signal du besoin de ventiler.
Je me relâche, je sais que la détente permet de se défaire de cette sensation désagréable.
Je reste encore un peu,… puis, il est temps de remonter.
Je me laisse aspirer par ma flottabilité le long du câble. Ne pas consommer et parvenir tranquillement jusqu’à la surface.
Je glisse vers le haut, emportée par le flot. Mon bras traverse l’eau, s’élance vers le ciel, saisit la corde.
J’inspire fortement, accrochant l’air dans mes poumons, réoxygéner. J’expire énergiquement, expulser le dioxyde de carbone… Une fois, deux fois, trois fois…
Le signe, « c’est ok »…
« Tu vas devoir tirer un peu sur les bras si tu veux remonter la prochaine fois » me dit Olivier. « Tu as fait douze ».
La montagne Pelée est là, un instant affranchie des nuages qui la cachent, comme pour célébrer mon succès de sa hauteur. Elle est le témoin de mes progrès.
Bonne semaine à vous.
Isabelle ABBADIE-BAOUSSON
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Image Jérôme BAOUSSON